La Maison des Arts de Schaerbeek, Bruxelles, 2024

Cette analyse explore en profondeur le travail artistique d’Émilie Magnan, qui se concentre principalement sur le dessin. Depuis ses débuts, elle est attirée par le corps humain. Son œuvre, souvent basée sur le travail de modèle et le portrait, a évolué vers des formats avoisinant la taille humaine. Chaque trait devient pour elle une contemplation, une manifestation de respect et d’admiration envers ses modèles. La nudité, lorsqu’elle est représentée, est empreinte de douceur et de dignité.

Le regard occupe une place centrale dans ses représentations du corps humain. Elle accentue souvent l’expression des yeux, les faisant soit fixer directement le spectateur, soit l’ignorer. À travers ces regards transparaissent des émotions diverses, de la stupeur à la fierté, évoquant une langueur profonde et intime. Dans le dessin Lau (2023, crayon de couleur sur papier tendu sur châssis, 165 × 110 cm), une jeune femme assise tient un oiseau mort, le regard hagard. Elle semble fixer un horizon éloigné sur sa droite.

Les figures humaines qu’elle crée se suffisent parfois à elles-mêmes, évoluant dans un lieu immatériel, un non-lieu, institué par la présence d’un fond laissé vacant, livré à la seule action du support, le papier vierge. Cette absence n’est pas seulement visuelle, elle est également sonore. Dans ce silence, on peut se demander : que n’entend-on pas ? Les pleurs ? Les plaintes ? Les cris de colère ? Les reniflements ? Ce vide laisse place au questionnement.

Certaines de ses créations, à contrario du vide, se distinguent par un remplissage et une surcharge d’éléments, évoquant presque des collages. Cependant, la figure principale demeure toujours en relief, s’extirpant des ondulations de l’amoncellement. La surface couverte de signes semble équivalente au fond blanc uniforme. Dans le dessin Aurore (2022, crayon de couleur sur papier tendu sur châssis, 105 × 200 cm), une figure féminine se détache des déchets qui l’entourent et recouvrent toute la surface du papier.

Sa fascination pour la figure de la poupée transparaît également dans son travail. Elle crée des figurines articulées. La sculpture Poupée (2022, résine moulée, 65 cm) est un autoportrait présenté soit assemblé, soit en pièces détachées, explorant ainsi le corps fragmenté et ses implications. Cet attrait pour la poupée se traduit dans ses dessins par les postures hiératiques de ses modèles et des espaces hors de tout monde, tels ceux de l’enfance.

Dans ses dessins, les modèles semblent vieillis, marqués par le temps et l’expérience. Elle représente divers âges de la vie, et les enfants occupent une place importante dans ses. Dans le dessin Marie (2022, crayon de couleur sur papier tendu sur châssis, 200 × 105 cm), une jeune femme nue et blessée est entourée d’enfants recouvrant toute la surface du papier. Ce dessin questionne la maternité et l’avenir des jeunes générations.

La thématique de la blessure est récurrente dans ses œuvres, se manifestant sous différentes formes subtiles telles que des hématomes ou des éraflures. Ces marques, bien que présentes, semblent souvent ignorées ou acceptées par ses modèles. Dans le dessin Lisa (2023, crayon de couleur sur papier tendu sur châssis, 105 × 200 cm), une femme allongée sur le côté montrant son dos a la tête tournée et regarde le spectateur. Son corps est parsemé d’ecchymoses. Cependant, en dépit de ses blessures, elle semble affirmer une sensualité, voire une vitalité. Cela ajoute une dimension de mystère et de questionnement aux réalisations.

Les symboles sont nombreux dans son travail, ajoutant des couches de signification et de contexte aux compositions. Par exemple, dans le dessin Auguste et Romane (2023, crayon de couleur sur papier tendu sur châssis, 165 × 110 cm), deux bambins se tiennent l’un à côté de l’autre, les pieds entourés d’insectes morts. Leur présence interroge : les enfants jouent-ils avec les insectes ? Sont-ils les symptômes d’autre chose ? Une dimension narrative, suggestive, allusive apparaît dans le dessin.

Sa palette de couleurs est généralement pâle. Les figures qu’elle dessine semblent prêtes à disparaître, un peu comme dans les créations symbolistes du début du vingtième siècle (notamment celles de Fernand Khnopff). Les tons des couleurs sont délicats et doux. Dans le dessin Isabelle et Marc (2024, crayon de couleur sur papier tendu sur châssis, 165 × 110 cm), une femme et un homme se tiennent assis l’un contre l’autre. La tonalité générale du dessin est très claire, et les tons pastel s’accordent délicatement, donnant une impression de douceur.

Dans l’ensemble, ses œuvres évoquent une douceur retenue et suggèrent des narrations intimes. À travers ses portraits, elle explore des thèmes tels que la maternité, l’enfance et la solidarité humaine, capturant des moments empreints de réconfort et de calme, non sans que des éléments perturbateurs, tels que l’indécision de localisation ou le jeu ambigu des regards, n’épaississent la lecture potentielle de ses dessins. Ses portraits collectifs mettent en lumière la solidarité et la tendresse entre les personnages, tandis que la sensualité se manifeste à un niveau individuel.